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Une Histoire de la Pluie

5 juin 2012

Non les hommes ne sont pas plus libres. J’aurais

Non les hommes ne sont pas plus libres. J’aurais donné n’importe quoi pour la retenir cette jolie fée. Pour l’emmener dans mon propre univers. Pour que ce soit à moi qu’elle raconte des histoires. Pour que je lui en raconte moi-même. Mais ses yeux ne s’allumaient que pour un conte bientôt achevé. Je n’avais aucun rôle à jouer dans ce conte-là et toute nouvelle histoire commencée aussi tôt en aurait pris forcément la couleur, les racines.

Alors je n’ai rien dit. Ou plutôt rien tenté. J’ai cessé d’aller l’écouter le soir au cimetière. J’ai espacé puis arrêté totalement mes visites à la librairie. Et je pensais qu’elle était partie. Lâchement je l’espérais même.

 

J’avais décidé de rester un moment sur les terres de ma naissance, d’y puiser des forces, de m’y établir peut être. J’épaulais de plus en plus mon vieux père à l’auberge, qui était reconnaissant de l’aide. Même si l’établissement ne brillait plus de sa gloire d’antan, et que la saison d’été ne faisait jamais salle comble, je retrouvais avec bonheur cette ambiance des soirs d’avant-première. Ces soirs de veillée, qui rassemblent chanteurs, rumeurs, qui voient les spectacles de l’année se préparer, s’entraîner, tester, de voir les histoires naitre, se défaire, se modifier.

Les soirées raccourcissaient depuis quelques semaines quand mes pas m’ont ramené au cimetière. Le temps était très orageux, le vent et les premières gouttes chaudes tombaient déjà quand je suis arrivé aux grilles de la ville des morts. Il y avait beaucoup moins de fleurs sur la tombe. Le vent balayait les vestiges des attentions fanées, la pluie lavait la poussière de l’été.  Et là, dans un coin. Une silhouette sombre. Etrangement silencieuse, contemplait la scène en débâcle.

 

La dernière fois que je l’ai vue il pleuvait. Une pluie drue, lourde, de ces rideaux qui vous trempent de leur bruine même quand vous êtes à l’abri.

 

 

 

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5 juin 2012

Je l’ai revue souvent. Cette liseuse et conteuse

Je l’ai revue souvent. Cette liseuse et conteuse hors-pair, et à chaque visite, chaque jour, je l’appréciais d’avantage. Je me demandais pour quelle raison Félicien, qui se contentait de peu, avait le bonheur facile, pour qu’elle raison avait-il décidé un soir, avant sa tournée, de passer par la Falaise du Bout du Monde et de sauter.

Nous ne nous aimions pas m’a-t-elle dit un jour que nous allions ensemble devant sa tombe. Du moins… il ne m’aimait pas. Il aimait mes histoires, l’attention que je lui portais. Il aimait les mondes que je lui faisais vivre, l’image et les personnages que nous incarnions. J’y ai presque cru moi-même. Et puis… et puis je crois qu’un jour il a eu peur de préférer ses rêves à sa vie réelle, il a eu peur de sortir de son univers pour tenter de vivre les histoires des autres. Il a eu peur de me suivre. Tout ce qu’il voulait c’était mes histoires et les mondes que je lui ouvrais. Mais je ne suis pas heureuse ici, j’avais l’impression de m’être forgée une fausse identité, de me perdre dans des culs-de-sac et il me fallait partir. Il me faut partir. Bientôt. J’aurais déjà dû le faire avant… mais c’est Félicien qui est parti. Alors je suis restée. Et j’ai continué à lui inventer et lui conter des histoires, l’histoire que j’avais tout juste commencé avant qu’il ne disparaisse. Presque chaque jour. Quelque soit le temps. Je lui ai raconté un nouveau chapitre. Mais tout conte doit finir un jour.

Si j’y réfléchis Félicien a réussi à façonner sa vie, ma vie, à l’image de ses rêves et de mes histoires. Et j’éclairais son chemin, comme l’éclairaient ses lucioles. Sur demande, si besoin. Ici le temps ne s’écoule plus, seul le passage de l’allumeur de réverbères donnait des repères à mes jours, tout comme ma visite au cimetière marque le temps qui passe. Ici les fées ne sont peut être pas cruelles, mais les hommes ne sont pas plus libres.

5 juin 2012

Et donc Félicien est revenu de temps en temps à

Et donc Félicien est revenu de temps en temps à la librairie, puis régulièrement, puis presque chaque jour pour qu’on lui conte des histoires. Pour que la timide et gauche libraire devenant au fil du temps cette superbe jeune femme les lui raconte. Des belles histoires. Où les fées ne sont pas cruelles, la magie non contrainte, où les hommes sont libres, les centaures sauvages et les oiseaux de simples présages.

Des histoires tirées des livres qu’elle lisait pour lui. Des contes que nous connaissions tous enfants mais aussi des épopées qu’elle lui inventait. Parfois de livres qu’il lui ramenait. Elle lui lisait ses lettres, mes lettres en particulier, quand les trois premières années après mon départ j’en écrivais encore à tous ceux que j’aimais. Elles étaient belles vos lettres, inventives, folles, fausses également, vu ce que je connais de certaines des contrées que vous avez traversées. Je les aimais beaucoup vos lettres. Et puis elles se sont raréfiées puis arrêtées. C’est à ce moment là que je lui inventé des histoires. Sur le modèle de vos missives tout d’abord, puis des contes de plus en plus imagés, fournis et complexes.

5 juin 2012

Félicien s’était rapproché d’elle peu de temps

Félicien s’était rapproché d’elle peu de temps après mon départ. Elle était venue aider et seconder son grand-père dont la santé déclinait et ne connaissait pas grand monde. Lui avait beaucoup de temps libre avec son nouveau métier d’allumeur de réverbères -Il lui suffisait de dresser ses lucioles et de veiller à l’entre-monde, ces heures entre sombre-et-jour qui bordent chaque soir et chaque matinée- et la plupart de ses amis, de nos amis, étaient déjà partis, amoureux ou débutaient leur ménage.

Félicien n’avait jamais aimé lire, et je me souviens que ses visites à la librairie n’avaient lieu que les jours de forte pluie (Il pleuvait la première fois que je l’ai vu m’a-t-elle dit), ou pour m’y rejoindre, m’y extirper et m’emmener jouer au-dehors.

Il n’avait jamais aimé lire mais il adorait qu’on lui raconte des histoires. Enfant, il restait souvent veiller chez nous -mes parents tenant l’auberge à l’orée de la forêt- au coin du feu ces longs soirs d’hiver quand il y a toujours des histoires, sombres, réelles, cruelles, ou rêveuses quelque soit l’hôte qui a envie ou besoin de prendre parole. Dans nos jeux, c’est moi qui l’emmenait dans nos mondes, où nous livrions batailles, sauvions nos peaux d’atroces péripéties, ou construisions des vraies cabanes au bord du ciel, en haut des arbres, pour simplement passer la nuit à regarder les étoiles. Plus âgé je lui écrivais ses premières lettres d’amour, qu’il n’utilisait jamais de toute façon la lettre était enfin prête qu’il avait déjà donné son premier baiser ou reçu sa première baffe. L’exercice et l’idée même d’écrire me plaisait autant qu’il aimer les entendre, je lui lisais mes premiers poèmes, mes premières esquisses de romans.

 

 

5 juin 2012

Quand je me retournais pour lui répondre, je vis

Quand je me retournais pour lui répondre, je vis celle qui dansait sur les tombes, et racontait aux morts, à mon mort des histoires fantastiques.

Oui vous pouvez m’aider. Et je lui posais une foultitude de questions auxquelles elle voulut bien répondre. Sans s’étonner ni s’agacer, réalisais-je par la suite. Peut être même qu’elle s’y attendait.

Elle venait de la ville voisine et avait passé la plupart de ses étés d’enfant avec son frère chez son grand-père, l’ancien libraire et avait repris la boutique à la mort de celui-ci.

Je me souviens très bien de vous. Vous avez beaucoup joué vous et votre ami avec mon frère qui avait vos âges.

Si je me rappelais très bien de l’ainé, un gaillard frêle et énergique qui avait il me semble un regard aussi sombre que le sien était clair, je ne me souvenais pas qu’il ait eu une sœur. Ni de l’avoir jamais vue rôder dans cette librairie où pourtant je passais enfant et plus grand de nombreuses heures. Devant mon air interdit, elle esquissa un demi-sourire et haussa les épaules comme si le fait n’avait guère d’importance à présent.

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5 juin 2012

Quelques jours après, je descendais au village

Quelques jours après, je descendais au village prendre des livres. J’avais retrouvé jusque là avec plus ou moins de bonheur mes livres d’enfants, les lectures favorites de mes différents âges, mais j’en avais assez de lire dans le passé. Il était temps d’avancer, de lire de nouvelles choses. La librairie avait bien changée. Autrefois poussiéreuse, pleine de livres empilés sans logique aucune entre les allées, les étagères, sur les sièges, la vitrine, rendant tout passage et regard impossible mais dissimulant également génialement aux regards pour tester les lectures torrides, les dessins osés, les livres interdits ou maudits, elle offrait à présent une façade claire, une vitrine soigneusement décorée, avec quelques rares opus mis en valeur sur des présentoirs en vieil argent.  Les étagères de volumes étaient toujours plus que remplies, mais plus rien ne trainait, des sièges en velours sombres et des liseuses avaient remplacé les fauteuils défoncés, des tables en verre poli permettaient de prendre des notes ou d’étudier tout volumineux ouvrage et surtout, surtout, l’immense coupole de verre et vitraux qui ornait le très très haut plafond avait été nettoyée et offrait une lumière douce et irisée à la pièce.

Je peux vous aider ? Me demanda une voix que je ne reconnus pas.

5 juin 2012

C’est devant son monument que je l’ai vue. Une

C’est devant son monument que je l’ai vue. Une longiligne silhouette sombre, dansante, mouvante, malgré la stèle encombrée, malgré la pluie. Je l’ai prise tout d’abord pour un vulgaire éclaireur d’ossuaires, de ceux qui charment et font danser les feux follets à la nuit tombée. Ils ne se produisent d’habitude pas en pleine pluie mais allez savoir quand ces êtres s’entrainent, les récents disparus sont connus pour être les plus luminescents, encore proche de ce monde et de ses habitants, de plus faciles réceptacle à toute nécromagie. Je crois que c’est la lumière qui m’a induit en erreur, avec le soleil déclinant qui perçait sous les nuages d’eau, baignait un étrange et chaleureux éclat, tout en clair obscur.

Elle ne m’avait pas encore aperçu et jouait avec la pierre, caressait la tombe mouillée devant laquelle elle était agenouillée, tout en racontant, réalisais-je en m’approchant aussi silencieusement que possible, une histoire. Une histoire, un conte, j’entendis le mot fée, enchanteur et méfaits, un entrelacs d’aventures compliquées, d’improbable et de beau. Ce genre d’histoires sur lesquelles on rêve, on se forge, on s’inspire, on s’arrête. Le temps de les entendre. J’ai dû faire un bruit ou je ne sais pas car elle s’arrêta brusquement, tourna la tête vers moi, un visage magnifique, je crois, des yeux bleus fantastiques j’en suis sûr, et avant même que je dise un mot se releva brusquement pour disparaitre sous le drap d’eau.

Félicien marmonnais-je. Diable d’homme. La plus belle femme que j’ai jamais vue te raconte des histoires sur ton lit de pierre et je trouve le moyen de m’en étonner.

5 juin 2012

Je n’étais pas allé le voir tout de suite. Dans

Je n’étais pas allé le voir tout de suite. Dans sa demeure de pierre. J’avais attendu quelques semaines. Trop longtemps peut être.

Mais je crois que je lui en voulais terriblement. De ne m’avoir rien dit, de n’avoir rien tenté, de ne pas m’avoir recontacté. De ne pas être là, tranquillement à m’attendre comme il me l’avait promis.

Mais je crois que je m’en voulais terriblement. De n’avoir rien tenté, de ne pas avoir pris de temps en temps quelques nouvelles, juste ce simple geste qui parfois peut changer les choses. De ne pas lui avoir rappelé sa promesse.

De l’avoir manqué. De si peu.

Il pleuvait fort le jour où je me suis enfin décidé à lui rendre visite. A l’arrivée au cimetière malgré ma cape et mon orbe de contre-pluie j’étais transi et trempé. Le sol n’était que boue, l’atmosphère eau, et la lumière presque pénombre. De ces lumières d’après-midi d’hiver ou d’orages.

Déserté de toute vie, comme de nombreux lieux en temps de pluie, l’endroit avait des allures de ville-vestiges. Avec ses toits tordus et troués, ses édifices souvent à demi-éboulés, ses allées pavées battues par l’eau, et ses bâtiments sombres, sans aucune lumière.

Même sans savoir où il reposait, la tombe de Félicien était facile à trouver. La seule de la rangée où je m’étais engagé à ne pas avoir de pierre rongée, à ne pas être recouverte de lierre. La seule encore couverte de fleurs, objets, témoignages d’affection éphémère de qui vient de disparaître, de qui n’est pas encore totalement oublié.

5 juin 2012

La première fois que je l’ai vue il pleuvait. Une

La première fois que je l’ai vue il pleuvait. Une pluie drue, lourde, de ces rideaux qui vous trempent de leur bruine même quand vous êtes à l’abri.

J’étais dans un entre-deux, un entre-deux-vies, une escale, je revenais d’une dizaine d’années de périples, de voyages aux quatre coins du Monde, des plus grandes villes-joyaux, aux trous les plus mal famés, en passant par des havres de paix. J’étais depuis plus d’un mois de retour au pays. Pour quelques semaines, des années ou le reste de ma vie, je ne le savais pas encore. Bien sûr mes amis, mes proches, ma famille ne m’avaient pas attendus pour profiter de leur existence, partir, réussir, se perdre, s’oublier, m’oublier ou pour certains tout simplement disparaître. Ainsi quelques jours après mon retour j’appris que Félicien, qui fut mon âme-frère, celui avec qui j’ai grandi, partagé mes rêves, mes mauvais coups, nos premières amours, Félicien qui n’avait jamais quitté la terre de notre enfance et qui, le jour de mon départ m’avait tranquillement assuré qu’à mon retour il serait là, toujours, Félicien avait succombé, trois mois auparavant, d’une commune maladie.

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